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Mon poignet gauche, c’est le village d’Astérix

Il n’a pas fallu plus d’une demi-seconde avant que la réponse ne claque: «Non, hors de question!» Tester cette montre connectée que mon rédacteur en chef me propose de porter pendant quelques jours? Vous n’y pensez pas!

Marco Cattaneo

Je ne lui ai pas même laissé le temps de me dire de quelle marque il s’agissait – une marque tout-à-fait respectable au demeurant, je me suis renseigné depuis. Car voyez-vous, c’est une question de principes.

Ode à mon smartphone

Mon poignet gauche, c’est le village d’Astérix, le seul coin de mon univers personnel qui résiste encore et toujours à l’envahisseur numérique. Le reste de ma vie a capitulé depuis longtemps et, je l’avoue, pour mon plus grand confort. J’adore mon smartphone qui me sidère chaque fois qu’il me trouve un hôtel à l’autre bout du monde ou qu’il m’informe en avant-première qu’un nouveau virus a surgi quelque part en Asie, devenant la préoccupation aussi centrale que passagère de toutes mes connaissances qui ne le contracteront jamais. J’adore mon ordinateur, j’adore les relations électroniques avec ma banque, j’adore les scanners portables qui ont remplacé les caissières des supermarchés et me permettent de viser les codes-barres de mes yaourts comme autant d’extra-terrestres qu’on affronte à coups de sabre-laser.

J’adore réserver mes billets de train ou d’avion sur internet, et même acheter de la musique en ligne – oui, je fais partie de ces quelques irréductibles qui paient encore un franc et quelque pour stocker des morceaux disponibles gratuitement partout, au grand étonnement de mes enfants. J’adore, au retour d’un footing, tirer des statistiques sur un tableur grâce au relevé précis de mes pas, de mes kilomètres, de mon rythme cardiaque (bracelet connecté au poignet droit). J’adore ce monde hyper-connecté où l’on s’offusque qu’un correspondant à 8’000 kilomètres et cinq fuseaux horaires de nous ne réponde pas à un e-mail dans les deux heures.

La magie d’un banquet mécanique

J’adore tout de cet univers digital, mais à mon poignet gauche, non! Lui résiste dans la bonne humeur, convie une montre puis une autre à ses banquets mécaniques où les rouages tournent comme des sangliers sur une broche, entraînés par la seule force d’un ressort enroulé sur lui-même. Je sais évidemment que ces composants qui s’emboîtent et me fascinent ont été pour l’essentiel produits et décorés par des machines CNC cinq axes, dont les bras robotisés manient leurs outils au milieu des jets d’huile et que tout cela, huile à part, n’est probablement pas très différent des chaînes de production de ces montres connectées dont je ne veux pas.

Mais il y a tout de même une différence: une montre mécanique, c’est un concentré poétique de génie humain, une prouesse technique que l’on peut comprendre parce qu’elle repose sur un enchaînement de causes et d’effets que l’esprit aime à suivre comme on progresse dans un labyrinthe jusqu’à en trouver la sortie. A l’inverse, la seule chose qu’une montre connectée offre à comprendre, c’est son plan marketing. Mais ce qu’il se passe au cœur même de l’objet reste insaisissable et n’intéresse d’ailleurs personne.

Quelques cassandres

Je lis bien sûr sur internet quelques cassandres qui ont fait de l’invasion connectée leur fonds de commerce, prédisant la fin toute proche de l’horlogerie mécanique, se citant l’un l’autre, tout bouffis de certitudes, pour mieux accréditer leurs thèses. Ils me font l’effet d’un touriste assis sur une plage, les fesses dans le sable, contemplant la mer et répétant chaque matin «Il va y avoir une tempête». Puis un jour, forcément, la tempête survient et donne raison au touriste nimbé de sa clairvoyance. Et alors? Oui, il y a parfois des tempêtes en mer. Et oui, les progrès technologiques feront encore évoluer l’horlogerie. Oui, il y aura chemin faisant quelques à-coups, des cahots parfois violents qui feront même tomber l’un ou l’autre passager. Mais à mon poignet gauche, ma montre fera toujours tic-tac.

 

Ce texte a été publié pour la première fois en 2016 sur Watchonista.com

2007 – 2017, dix années passionnantes à raconter l’horlogerie mécanique dans les médias spécialisés

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